Deux procès suite aux manifs Gilets Jaunes d’été

Lundi 29 juillet 2019, deux personnes étaient jugés notamment pour des faits de violence sur personnes dépositaires de l’autorité publique.

Le premier passait en comparution immédiate suite à la manif du 27 juillet. Malheureusement, aucun contact n’avait pu être pris avec ses proches pour réunir ses garanties. En effet la presse avait fait état de 5 gardes à vue, mais il y en avait bien une 6ème, car les journalistes n’avaient pas compté celle d’une mineure.

Le sort du premier a été scellé de manière expéditive: il n’a pas demandé de délai pour préparer sa défense et a ainsi été jugé sur le moment, défendu par un avocat commis d’office. Rappelons que dans un tel contexte, il est toujours très difficile de se défendre. L’avocat a souvent accès au dossier quelques instants avant l’audience, et après 40 heures entre les main des flics on est dans des conditions physiques et mentales très mauvaises pour affronter le procès.

Accusé de menaces sur un flic, et d’un jet de canette n’ayant pourtant touché personne, il n’est quasiment pas question des faits pendant l’audience. Pour le procureur, 3 PV de flics l’accablent, il est reconnu par sa casquette rouge, la messe est dite. Le camarade avait pourtant nié les faits en garde de vue, avant de céder lors d’une deuxième audition et de reconnaître un lancer d’oeufs. Encore une fois, cela montre qu’il est important de garder le silence en GAV et de demander un délai lors de la comparution immédiate pour pouvoir réfléchir collectivement à toutes les tactiques opportunes de défense. Dans le cadre de cette audience, le tribunal s’est en effet principalement fondé sur les déclarations du prévenu. Il l’a condamné pour le délit de violence qu’il reconnaissait partiellement. La tentative de reconnaître un lancer de projectiles jugé moins dangereux n’a pas payé puisque les violences sont admises et les donc le délit caractérisé, ce qui permet au tribunal de le condamner. Rappelons également à toute fin utile qu’il n’existe pas de délit de tentative de violence dans le code pénal, toutes les tentatives sont considérées comme des violences. Il est toujours incriminant de reconnaître un jet de projectile, qu’il ait manqué sa cible ou non. Toutefois, le tribunal l’a relaxé pour le délit de menaces qu’il niait. Une lecture attentive du dossier aurait au minimum relevé des incohérences sur les jets de projectiles et aurait pu permettre de se défendre également de ce chef d’inculpation.

L’avocate, qui a eu accès au dossier très peu de temps avant l’audience, ne peut que brièvement parler du fond. Elle se concentre sur la situation particulière de son client. En effet, le camarade dormira en prison quoi qu’il arrive le soir même, puisque que le juge d’application des peines, le considérant coupable dès son arrestation, a déjà décidé durant la garde à vue de mettre à exécution une précédente peine de 9 mois de prison ferme qui avait jusqu’alors été aménagée. L’enjeu pour elle est donc de convaincre le tribunal que de faire droit aux réquisitions du proc (6 mois ferme + 2 mois de révocation de sursis mise à l’épreuve) signifie que le fait d’avoir reconnu un lancer d’oeuf équivaut à 17 mois de prison ferme (si l’on compte les 9 mois mis à exécution). Le tribunal n’a été que peu sensible à ces calculs et a prononcé la peine de 3 mois de prison ferme (avec mandat de dépôt, automatique en matière de récidive), a révoqué un sursis à hauteur de 2 mois + 450€ à verser à la partie civile.

Il a 10 jours pour faire appel, ce qui lui permettrait de pouvoir bâtir une défense solide, ce qui est impossible en comparution immédiate.


La deuxième personne était jugé suite à la manif du 29 juin. Accusé d’avoir fait chuter un flic pour s’opposer à une arrestation, de participation à groupement en vue de commettre des violences et dégradations, ainsi que d’avoir refusé la signalétique, il n’avait rien déclaré en GAV, et avait demandé un délai lors de l’audience de comparution immédiate.

Le débat porte d’abord sur une demande de renvoi de la part de la partie-civile : Birrien, avocat des flics, souhaite que d’autres examens médicaux soient faits pour rendre plus importante l’Interruption Temporaire de Travail du policier, qu’il décide de rebaptiser « interruption totale », pour le style. En effet, le flic a obtenu un jour d’ITT, mais le camarade aussi. Un point partout ? Pour Birrien, que nenni ! L’enjeu est pour lui d’obtenir une requalification sur des violences plus graves, donc d’obtenir une peine plus lourde et des dommages et intérêts plus conséquents. S’en suit un débat technique entre lui et le procureur, qui ne semble pas tellement apprécier qu’on lui demande de « mieux se saisir », c’est à dire de changer la nature des poursuite alors qu’aucune pièce justificatives n’est apportée en ce sens. Le juge décide finalement de traiter le fond le jour même.

Le débat reste sur le même thème, puisque le juge attaque tout de suite sur ce que le prévenu a indiqué au médecin en GAV, c’est à dire d’avoir subi des violences et des insultes de la part des policiers. En effet la symétrie est telle dans le dossier (1 jours d’ITT de part et d’autre, signifié par le même médecin), qu’il est important pour le juge de rétablir la bonne hiérarchie de la violence légitime en indiquant que les douleurs que le camarade a ressenti ne sont que la conséquence logique et proportionnée d’une interpellation en bonne et due forme. Le juge cherche donc à ce que le camarade se contredise mais ce dernier le prend à contrepied en indiquant qu’en effet, les flics font leur boulot quand ils interpellent quelqu’un, mais qu’il doute de la proportionnalité et de la pertinence des insultes et des coups de pieds dans le dos « une fois menotté ».

Il s’agit ensuite de contester la version des policiers, qui assurent que l’interpellation a lieu suite à une tentative de désarrestation. Le prévenu produit un tout autre récit : de passage à Rennes, il croise la manifestation et s’arrête quelques minutes pour discuter avec une connaissance. L’ambiance ne lui semble pas dangereuse, mais lorsqu’une charge policière intervient soudainement, il tente de fuir et percute involontairement un policier au cours de sa course. Le juge, les assesseurs, le procureur et l’avocat des flics tentent de le désarçonner en lui faisant répéter son histoire jusqu’à épuisement de tous les mimes et toutes les précisions possibles sur sa position exacte, sur sa vitesse et son temps de course. Tous ces hommes de robes ont bien là l’occasion de démontrer qu’ils ne comprennent rien aux situations de manifestations, puisqu’ils n’arrivent manifestement pas à s’imaginer ni la configuration de la scène ni la soudaineté de la charge qui a pu amener ce télescopage.

Étant arrivés au bout de la logique d’un interrogatoire qui confine à l’absurde, le juge se retrouve contraint à changer de sujet et aborde le chef d’inculpation de participation à un groupement formé en vue de la préparation à commettre des dégradations ou des violences (en l’espèce jet de projectiles et la bousculade qui nous concerne ici). Il peine à introduire le débat (« Généralement c’est le délit qu’on reproche dans les manifestations, c’est pas de venir à la manifestation mais de se préparer à venir équipé pour casser… ce qui n’est pas le cas ici »). Il tente bien de relier la bouteille d’eau vide retrouvée dans le sac à dos du prévenu à une « éventuelle arme par destination » mais il n’a pas l’air d’y croire lui même. Il en vient même à blaguer sur le fait que le prévenu, passionné d’architecture ne doit pas avoir envie de mettre le feu au Parlement de Bretagne, et en arrive par une étrange circonvolution de l’esprit à constater « l’absence de gouren [= lutte bretonne] dans le dossier ». Le prévenu laisse le juge à ses fantasmes et se contente de répondre très factuellement. Il justifie très facilement son absence de réponses en garde à vue par la lecture de tracts, qui sont ensuite loués par Maître Birrien lui-même, qui en rappelle les recommandations principales : ne rien déclarer en GAV, ne rien signer et contacter ses « éminents confrères », Maître Pacheu ou Maître Prigent. Il restera ironique tout au long de sa plaidoirie, décrivant les policiers comme des « fieffés crétins qui ne savent pas différencier quelqu’un qui fuie et quelqu’un qui cherche à les percuter », et moquant la malchance qui s’acharnerait sur le prévenu. Pour autant personne dans la salle n’a oublié que quelques minutes auparavant il avait tenté de faire requalifier le délit pour obtenir plus de dommages et intérêt pour son client, allant jusqu’à demander une audience ultérieure pour fixer le montant à payer venant compléter les 750€ qu’il réclame à titre provisoire. En matière d’acharnement, on a plutôt l’impression qu’il faut le chercher du côté de la répression plutôt que de celui du « fichu hasard ».

Le procureur, lui, requiert 5 mois de sursis simple pour les violences et la participation au groupement, ainsi que 500€ d’amende, venant soi-disant sanctionner le fait que le prévenu ait « défié l’ordre public » en bousculant un policier. Il requiert également la relaxe pour le délit de refus de signalétique, constatant qu’il n’y a aucun PV dans le dossier qui vient attester d’un quelconque refus du prévenu en GAV.

L’avocat de la défense, Maître Pacheu, tente d’expliquer l’ambiance d’une manifestation, rappelant à Maître Birrien, sorti de la salle entre temps, qu’une manifestation n’est pas comparable à un footing durant lequel on peut admirer le paysage. Il rappelle au juge que son client ne peut pas être condamné pour deux délits différents se référants aux mêmes faits : on ne peut pas reprocher des violences et une participation à un groupement en vue de commettre les mêmes violences. Malgré le peu de combativité du procureur sur la signalétique, il tient à marteler les jurisprudences de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui rappelle régulièrement à l’ordre la France, jugeant que les fichiers ADN et d’empreintes digitales portent atteinte à la vie privée et posent un problème de proportionnalité dans leur durée de conservation (50 ans même pour des petits délits).

Après délibération, le prévenu est relaxé pour le délit de refus de signalétique, relaxé également pour le délit de groupement en vue de la préparation de violences ou dégradations. Le délit de violence est requalifié en contravention d’atteinte involontaire, considérant que c’est par maladresse que le policier a été percuté. Il est toutefois condamné en répression à une amende de 500€. S’agissant d’une contravention, cette condamnation ne sera pas inscrite à la section B2 de son casier judiciaire, consultable par les employeurs. Enfin, le juge n’accède pas à la demande de 750€ d’intérêts provisoires réclamés par la partie civile, et renvoie le débat sur les indemnités à l’audience civile ultérieure.

Nous avons appris par la suite que le parquet fait appel. On lâche rien ! Solidarité avec tous les prisonniers et avec tous les inculpés du mouvement !

Pour faire face aux importants frais de justice engendrés par cette dernière affaire et celles à venir, nous appelons à participer à la cagnotte de soutien aux inculpés. Il est aussi possible de faire un don via la page Helloasso.