Procès acte XV

Retour sur les comparutions immédiates du 25-26 février 2019 à Rennes

 

Au cours de la manifestation du 23 février il y a eu en tout 28 interpellations dont 18 gardés-à-vue.

Les interpellations commencent en fin de matinée, sur la route de Rennes et au point de rassemblement (et ses alentours) suite à des contrôles. Une dizaine d’interpellations préventives pour possession de pétards et pour vérification d’identité, le reste pendant la manif et au moment de la dispersion. Le communiqué « Police Nationale 35 » annonce 8 fonctionnaires de police blessés.

La plupart des gardés-à-vue (18) ressortent le dimanche avec une convocation pour procès dans plusieurs mois. Au moins l’un d’entre eux accepte la procédure de « plaider coupable »* pour détention de pétards, il est condamné à 3 mois de prison avec sursis* et 2 ans d’interdiction de séjour en Ille-et-Vilaine.

Trois manifestants passeront en comparution immédiate les lundi et mardi suivant. Voici les compte-rendus.


1ère affaire : placement en DÉTENTION PROVISOIRE

Le premier Gilet Jaune a passé dans le box des accusés vient de St-Nazaire, il est soupçonné d’avoir mis le feu à une poubelle et d’avoir eu dans son sac des « engins explosifs »…

Il refuse la comparution immédiate et demande un renvoi le temps de préparer sa défense. Le débat ne se concentre donc pas sur l’affaire en soi mais sur son contrôle judiciaire jusqu’au jour de son procès (report d’un mois). Comme à l’accoutumé il s’agit de présenter au juge ses garanties de représentation, en clair de convaincre le président et ses assesseurs que le mis en cause se présentera à son procès le jour venu sur la base de quelques documents essentiels.

Son avocat commis d’office apporte au tribunal un hébergement à titre gratuit, une garantie donc de domicile entre les mains du juge… Malheureusement tout ne se passe pas comme prévu. Au cours des débats, le juge va interroger l’accusé dans le box sur son passé et sur sa situation à St-Nazaire, si il connaît bien la personne qui a promis de l’héberger et comment il la connaît… Il est important de rappeler que le mis en cause vient de passer 48h en garde-à-vue, il est épuisé et pressé d’en finir. Son avocat est un commis d’office, il n’a pas eu le temps de préparer « son client »…

Si dans un premier temps le GJ tente de se limiter à des déclarations spontanées, il finit par céder et par entrer une discussion directe avec le juge sur sa situation, sans filtre… La procureure n’a qu’a remuer le couteau dans la plaie en insistant sur le fait que cette attestation d’hébergement est probablement fictive et que l’accusé ne s’y tiendra pas de toute façon.

L’avocat de la défense n’y changera rien, il tente de revenir sur le fond de l’affaire rapidement pour dégonfler l’accusation et ainsi éviter à son client la détention provisoire, mais en vain.

Le juge le place en détention provisoire jusqu’au jour de son procès à Rennes.


2ème affaire : Un baceux fragile… aux dents longues.

Le second accusé a être placé dans le box est un rennais. On l’accuse de violences sur deux agents des forces de l’ordre ainsi que de rebellion. La partie semble mal engagée dès le début, il accepte la comparution immédiate et fait face sur le banc de la partie civile à l’avocat des flics, Maître Birrien, venu lui soutirer de l’argent au titre du préjudice pour ses clients fonctionnaires. De plus l’accusé a déjà en parallèle une autre procèdure judiciaire en cours pour une autre manif, ce sur quoi la procureure insistera.

Sur les faits, il lui est reproché d’avoir jeté une bouteille sur deux agents de la BAC (sans les atteindre) au cours de la manifestation, et c’est au moment de son interpellation par ces mêmes agents que l’un d’entre eux sera blessé… non pas par l’accusé mais simplement en se tordant lui-même la cheville ! Être policier c’est un métier dangereux, on ne compte plus les auto-mutilations et autre torsion de muscles qu’ils s’occasionnent au cours des manifs. Résultat : 3 jours d’ITT pour le baceux. Blessure que le policier admettra s’être lui même causée…

Au cours du débat avec le juge, l’accusé nie avoir jeté une bouteille, en revanche il reconnaît s’être rebellé au moment du menottage au sol par les policiers : « l’arrestation était abusive, ils étaient plusieurs sur moi […] j’essayais juste de respirer parce qu’ils s’appuyaient sur ma tête […] je résistais pour leur montrer que ce n’était pas une façon de faire […] j’avais l’impression d’avoir à faire à des chasseurs. »

Le procès-verbal des policiers stipule que l’accusé « se raidissait volontairement pour résister à son interpellation » et qu’il « écartait son bras pour ne pas être menotté »… C’est tout.

La procureure insistera sur l’autre procédure judiciaire en cours à son encontre afin de « contextualiser » et de renforcer le profil du manifestant dangereux. En effet car il a été contrôlé un mois plus tôt aux abords d’une manifestation avec dans son véhicule dans lequel il y avait un casque et un masque de plongée…

Au cours de la GAV, l’enquêteur social qu’il a accepté a joint son employeur, ce dernier parle de son salarié comme de quelqu’un de « compétent mais avec un caractère impulsif ». Merci patron !

Rappel : il est possible et fortement conseillé de refuser l’enquêteur social, pour éviter ce genre de remarque sur le profil…

Pour conclure son réquisitoire, la procureure demande 3 mois de sursis et une peine de Travail d’Intérêt Général… « Surprenant » répond la défense puisque l’accusé travaille déjà toute la semaine.

« Quand vais-je pouvoir faire ces TIG ? La nuit ? Je travaille la journée et j’ai des enfants ! » demande le gilet jaune.

La procureur lui répond : « vous pourrez le weekend ça ne pose pas de problème ! »

Par les TIG ou par l’obligation de travailler les magistrats veulent occuper notre emploi temps pour nous empêcher de nous mobiliser.

À cela s’ajoute une interdiction de séjour à Rennes pour les deux prochaines années pour être certain qu’il ne récidive plus… au moins ici. La défense rétorque que c’est impossible puisque son client travaille sur les chantiers, dont la plupart se trouvent à Rennes. Mais la proc n’est plus à une incohérence près, interdire de séjour sur une commune ou un département est une consigne chez les parquetiers.

C’est au tour de la partie civile de prendre la parole : Maître Birrien qui représente les deux policiers de la BAC commence son show. Il revient sur le fait d’être présent dans une manifestation non-déclarée et interdite, argument soulevé par la proc, et va jusqu’à prendre position en faveur de l’accusé : « on pouvait penser qu’elle était légale quand on voit autant de monde, je comprend, il n’y a aucun problème ! » juste avant de rebondir : « mais il est resté malgré les violences ! ». On se doutait bien qu’il cachait quelque chose mais on retient l’argument…

Il se montre comme souvent plus perspicace que la proc contre l’accusé : « si l’accusé s’était laissé faire au moment de son interpellation il n’y aurait pas eu de violence contre lui, il a résisté activement ! »

Il conclut au sujet de la rebellion : « mon client (le policier) reconnaît avoir mal interpellé, il reconnaît également s’être blessé lui même. » Ce qu’il ne l’empechera pas de demander au titre des préjudices subis 300€ pour chacun de ses clients !

Concernant les violences il poursuit : « Je ne doute pas que monsieur soit responsable du jet de projectile, il a été identifié et les agents de la BAC sont hautement formés, leur capacité de ciblage est reconnu ».

L’identification est au coeur également du réquisitoire du proc : « il n’était pas cagoulé c’est pourquoi il a été facilement identifié par les agents… » et « si deux reconnaissances policières ne suffisent pas alors on met la clé sous la porte ! »

Ce sur quoi la défense n’hésitera pas à rebondir : « mais cela ne correspond pas aux procès-verbaux ! Il y a tellement d’incohérences dans les PV, il n’y a pas de signe distinctif dans le dossier pour identifier mon client. » Des policiers « hautement formés pour leur capacité de ciblage » mais incapable de retranscrire correctement sur les PV les éléments du ciblage ?

L’avocate enchaîne : « comment peut-on se passer dans cette affaire de vidéosurveillance ? Les policiers sont-ils trop fatigués pour mener une enquête ? ».

Elle poursuit : « en prenant en compte ces élements comment peut-on faire confiance aux déclarations des agents de la BAC pour condamner mon client alors que l’on sait que des fonctionnaires de la même BAC ont été condamnés par le passé et par cette juridiction ?! » (à lire : Le sheriff de Rennes)

Avant de conclure : « il n’y a donc aucun élément objectif dans ce dossier pour condamner mon client sur les charges de violence et je demande pour conclure la relaxe au bénéfice du doute. »

L’avocate détonne dans le triste spectable habituel des compas immédiates, elle tient une défense audacieuse en n’hésitant pas à remettre en cause la parole des flics, de leur « enquête » et répond au réquisitoire du proc. Sa défense paye, elle obtient la relaxe pour les violences mais son client n’échappe pas à l’accusation de rebellion, le gilet jaune écope de deux mois de sursis et doit verser aux « victimes » en tout 700€…


3ème affaire : Joue la comme Dettinger…

Le mardi un manifestant comparait libre pour violences sur agent ayant entrainé 1 jour d’ITT. Il passe devant un juge unique.

On l’accuse de s’être interposé à une arrestation en toute fin de manif, près du boulevard de l’Alma, et d’avoir mis un poing au visage d’un baceux, le même agent déjà partie civile dans l’affaire précédente (double prime). La juge en profite pour faire une comparaison à peine voilée avec la scène de boxe de Dettinger à Paris il y a plusieurs semaines.

L’accusé rétorque qu’il ne l’a pas frappé mais simplement « repoussé ». Il justifie son intervention auprès de la juge : « j’en avais ras-le-bol à cause de tout ce qui se passe, la violence contre les manifestants… […] j’ai vu deux voiture banalisés et des hommes en sortir alors qu’ils ne se passaient rien… ».

La procureur balaye ses explications : « il se mèle de ce qui ne le regarde pas ! ». Elle continue : « il y a deux déclarations de policiers qui n’ont aucune raison d’être remises en cause ! »

Elle requiert 4 mois de prison aménageable et une interdiction de d’Ille-et-Vilaine pendant 2 ans.

La juge le déclare coupable : 3 mois de prison et une interdiction de Rennes pendant 2 ans. Pas de mandat de dépôt.