Nous avions publié une première tribune en février 2024 lors du lancement de la procédure de dissolution par le Ministère de l’Intérieur, puis un communiqué après le décret d’avril en conseil des ministres.
De quoi Darmanin a-t-il si peur à Rennes ?
Suite à une première plainte impulsée par un député RN en octobre 2022 et une nouvelle menace de Darmanin lors du mouvement contre la réforme des retraites, le Ministère de l’Intérieur a exprimé son intention de dissoudre notre collectif en février dernier, ce qui s’est confirmé par le décret publié mercredi 4 avril en Conseil des Ministres. Après plusieurs mois à préparer notre défense, nous nous apprêtons à affronter le Ministère de l’Intérieur au Conseil d’État pour le premier round de la procédure, lors d’une audience de référé suspension le 26 juin à Paris.
Si cette nouvelle est très grave pour tous les collectifs qui s’organisent comme nous contre la répression des mouvements sociaux en France, elle n’est pas véritablement une surprise. Depuis notre création et ces huit années passées à organiser la défense dans la rue et dans les tribunaux, nous avons été désignés comme la cible prioritaire de la police, des procureurs et de la préfecture de Rennes. Après avoir échoué à nous écraser sous les procès et nous mettre au ban du mouvement social, c’est le Ministre de l’Intérieur en personne qui s’est déplacé à Rennes pour annoncer notre dissolution.
Par cette tribune, nous souhaitons aujourd’hui nous exprimer publiquement, non seulement pour expliquer en quoi cette décision est extrêmement dangereuse pour toutes les personnes qui s’organisent politiquement, mais aussi pour balayer les mensonges des autorités et expliquer qui nous sommes et ce que nous faisons réellement depuis notre création.
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QU’EST-CE QUE LA DÉFENSE COLLECTIVE ?
La Défense Collective a été fondée en 2016 à Rennes et a pour fonction de s’organiser face à la répression des mouvements sociaux par la défense au tribunal des personnes mises en cause et par la participation aux mouvements dans la rue.
Nous sommes des manifestant.e.s issu.e.s de ces grandes mobilisations, qui, en assistant aux procès des personnes arrêtées, ont compris que la répression judiciaire est une arme plus redoutable que les matraques, les gaz et les grenades pour écraser la contestation politique en France.
Depuis huit ans, nous défendons gratuitement la majorité des manifestant.e.s arrêté.e.s à Rennes avec le concours de trois pénalistes talentueux.ses et aguerri.e.s. Nous permettons aux personnes mises en cause de s’emparer de leur défense, parce que nous leur garantissons l’accès à leur dossier, la participation à l’élaboration de leur stratégie judiciaire, et le soutien financier pour faire appel.
Nous défendons tou.te.s les participant.e.s aux luttes quand bien même nous aurions des désaccords avec elles et eux, à l’exception des balances (avec qui il n’est pas possible de s’organiser collectivement) et des fascistes (ennemis par définition du mouvement).
Nous avons aussi assuré des formations juridiques à des centaines de manifestant.e.s, grévistes, bloqueur.se.s, étudiant.e.s, gilets jaunes, lycéen.ne.s, membres de syndicats ou de partis de tous horizons et milieux sociaux. Dans celles-ci, nous appelons ouvertement à garder le silence en garde à vue, informons sur la prise systématique d’empreintes et d’ADN (que nous conseillons de refuser), et appelons à refuser les comparutions immédiates et toutes les procédures accélérées qui ont permis à une justice d’abattage d’écraser sous des vagues de procès bâclés des mouvements comme celui des gilets jaunes ou les révoltes suivant le meurtre de Nahel.
La lutte contre la répression doit aussi être saisie en amont. C’est pourquoi nous sommes fier.ère.s de défendre une vision émancipatrice de la lutte grâce :
- à nos ateliers juridiques et stratégiques, où le collectif effectue un bilan des manifestations, actions ou mouvements sociaux passés, et développe de manière participative une réflexion destinée à éclairer les espaces d’organisation du mouvement social dans leurs choix stratégiques.
- à la distribution et la diffusion de matériel de protection face aux armes de plus en plus létales de la police et de conseils en manifestation et en assemblée
- à la diffusion d’une culture de la défense et de la solidarité dans les cortèges et bien au–delà de notre petite ville, dont un des piliers est la préservation de l’intégrité physique des manifestant.e.s
Ainsi, nous faisons publiquement la promotion des masques de plongée contre les gaz lacrymogènes et les tirs de LBD, des masques anti-poussière ou anti-pollution contre les gaz lacrymogènes, des parapluies contre les tirs tendus… de même que nous faisons circuler des tracts sur lesquels figurent des conseils contre la répression et les contacts des avocat.e.s avec lesquel.le.s nous travaillons régulièrement. Par ailleurs, nos combats dans les tribunaux permettent de constamment réaffirmer la légalité du port de ces équipements, via des jurisprudences acquises après de nombreux procès jusqu’en cour d’appel. C’est pour nous une action d’autant plus indispensable à l’heure où le Ministère a annoncé la commande et l’usage massifs de nouvelles grenades encore plus dangereuses que les précédentes interdites.
LA CRÉATION DE LA « CHIMÈRE »
À travers la défense judiciaire de centaines de manifestant.e.s depuis 2016, nous avons bien appris une chose des dossiers de police auxquels nous sommes confronté.e.s : les enquêteur.trice.s et les services de renseignements rennais ont pour habitude d’attribuer systématiquement à la Défense Collective la responsabilité de tous les agissements politiques tels que les affrontements avec la police ou les attaques contre les entreprises et institutions ciblées par les manifestant.e.s.
Dans cette logique, ils ont créé une chimère politique, un monstre insaissable qu’ils englobent dans l’appellation « Ultragauche-DefCo ». Dans ce fourre-tout sorti tout droit de l’imaginaire d’un.e fonctionnaire de préfecture, « l’UG-DC » regrouperait aussi bien des collectifs militants de la ville, le cortège de tête rennais rassemblant plusieurs milliers de personnes, les « ultrajaunes » radicalisé.e.s et les mystérieux.euses « blackblocks », mais aussi les différentes assemblées de lutte de la ville dont les comités décident des actions de blocage et de manifestation.
Et c’est ainsi que, pour justifier cette dissolution, le Ministère de l’Intérieur nous attribue dans ce décret la prétendue paternité du média militant local Rennes DTR (pourtant indépendant et autonome de toute structure).
Les publications de ce média, portant sur des sujets beaucoup plus vastes et généraux que celles de la Défense Collective, servent aujourd’hui à légitimer notre dissolution au nom de d’une « provocation à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ». Pourtant, un rapide coup d’œil à nos publications (nous avons nos propres canaux de communication) suffit a démontrer qu’il n’en est rien.
En réalité, ce que vise cette procédure, ça n’est pas seulement un groupe qui défend à son échelle les cortèges et les militant.e.s arrêté.e.s, c’est surtout la dynamique et les pratiques de lutte qui se sont largement diffusées dans les grands mouvements depuis 2016.
De la Loi Travail à la réforme des retraites, de la révolte des gilets jaunes aux émeutes qui ont suivi le meurtre de Nahel, la répression brutale qui s’est abattue contre tou.te.s celles et ceux qui se sont opposé.e.s au pouvoir aussi bien dans la rue que dans les tribunaux nous a démontré une chose : la défense collective est l’affaire de toute personne qui lutte.
Et c’est là que cette procédure prend son sens pour le Ministère, puisqu’elle intervient lorsqu’un phénomène politique prend de l’ampleur. Par simple décision du Conseil des Ministres, sans procès ni juge indépendant, une organisation peut alors être déclarée illégale.
En pratique, ce dernier justifie cette décision par les « notes blanches » des services de renseignements, qui sont par nature des informations sans justifications vérifiables ni procédures clairement établies.
Et, depuis 2021 et la mise en place de sa « loi Séparatisme », le gouvernement s’octroie désormais la possibilité de dissoudre sur un critère largement étendu les groupes qu’il suspecte de « provoquer à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens« .
C’est désormais sur cette base que les groupes issus du mouvement social sont attaqués, a contrario des groupes d’extrême-droite massivement dissous sur la base de critères liés au racisme et aux discriminations de genre. A contrario aussi des collectifs tels que le CCIF visés par les critères liés aux discriminations et aux agissements terroristes.
Mais, nous l’avons compris en étudiant les procédures récentes relatives au critère de 2021, les collectifs visés par les mesures de dissolution ne sont pas forcément ceux qui appelleraient ou qui pratiqueraient certaines formes de violence politique. Ce sont les groupes larges, rejoignables, et dotés d’une force d’appel conséquente, dont le discours aurait une certaine popularité au-delà des partis institutionnels et des syndicats : la diffusion d’une forme d’écologie radicale issue des ZAD avec les Soulèvements de la Terre, d’un antifascisme populaire et combatif avec le GALE dans la ville où l’extrême-droite de rue est la plus dangereuse et organisée, et de celles des pratiques issues des gilets jaune avec le Bloc Lorrain dans une région marquée par le reflux des grandes mobilisations ouvrières.
Car c’est bien là le sens premier de la dissolution : renvoyer dans la marge, voire à la clandestinité, des organisations dont le rayonnement déborde bien au–delà des frontières des milieux militants radicaux. C’est retracer les frontières, devenues poreuses après huit années de mobilisations sociales, entre les formes et les pratiques les plus combatives du mouvement et des organisations institutionnelles dont les membres étaient enfermés dans une pratique frileuse, défaitiste et dénuée d’offensivité.
Ce qu’a voulu faire taire les autorités c’est leur communication publique foisonnante, leur force d’appel massive ; ce qu’il a voulu empêcher par dessus tout ce sont des modes d’organisation qui tendent à être rejoignables par des composantes parfois très diverses des mouvements et reproductibles au-delà de leurs espaces de création.
Notre expérience de la machine judiciaire et de ses limites nous a aussi fait comprendre qu’il y avait pour le pouvoir un intérêt bassement opportuniste dans cette mesure : pouvoir isoler et calibrer des petits groupes afin de les faire rentrer et juger dans le format pénal (via les associations de malfaiteurs) voire antiterroriste, ce qui ne serait évidemment pas possible pour des organisations regroupant des centaines voire des milliers de personnes.
Nous n’échappons pas à cette logique : dans le cas de la Défense Collective et quoi que soient les justifications du gouvernement, c’est bien parce que notre groupe donne les moyens aux mouvements sociaux de se défendre contre la répression par un ensemble de pratiques rejoignables qu’il est aujourd’hui sous le coup de cette procédure.
DE LA RUE AU CONSEIL D’ÉTAT
A travers la résistance que nous comptons opposer fermement à cette procédure de dissolution, nous appelons à refuser cet isolement et cette clandestinisation dans laquelle le gouvernement veut nous enfermer et à défendre les collectifs de lutte publics qui sont aujourd’hui très clairement menacés. Nous réaffirmons haut et fort notre refus de la dissociation entre bon.ne.s et mauvais.e.s manifestant.e.s, et la nécessité absolue de garantir l’intégrité physique et le droit à la défense dans les tribunaux pour tou.te.s face à la puissance de l’État.
Nous réaffirmons que la légitimité est du côté du mouvement social, et rappelons aux organisations qui pensent se protéger derrière le paravent de la légalité que c’est par des combats acharnés et parfois violents qu’ont été obtenues des libertés longtemps interdites : se syndiquer, se défendre au tribunal avec un.e avocat.e, obtenir une retraite, pouvoir avorter ou afficher son homosexualité sans risquer la prison.
À l’heure où le droit de grève est à nouveau directement menacé, et où les héritier.ère.s de Pétain et de l’Algérie Française sont en passe de prendre le pouvoir, nous avons tou.te.s compris qu’on ne pourra pas toujours se réfugier passivement derrière des droits systématiquement attaqués par le pouvoir.
Nous appelons donc à s’opposer à la mesure de dissolution en tant que telle, quand bien même elle s’appliquerait aux groupuscules d’extrême–droite.
D’abord parce qu’elle n’a absolument pas empêché la progression de l’extrême–droite institutionnelle (Bardella est d’ailleurs favorable à la dissolution des groupes « d’ultradroite » tels que le GUD), qui se trouve aujourd’hui dans une position de force incontestable après avoir gratté du terrain sur les échecs successifs des mouvements contre les réformes d’austérité.
A l’heure où Macron, dans une obsession manifeste de dissoudre ses problèmes jusqu’à l’Assemblée Nationale elle-même, offre au Rassemblement National la possibilité d’avoir son premier gouvernement en France, nous posons cette question à tous les acteurs des luttes sociales en France : à votre avis, que ferait Jordan Bardella avec un outil comme la dissolution administrative entre ses mains ?
Pour toutes ces raisons évidentes, nous appelons à nous opposer à une loi qui plus que jamais va renforcer les pouvoirs judiciaires d’un État toujours plus autoritaire, liberticide, et a qui a survécu à coups de matraques, de grenades et de procès aux plus grands mouvements que la France ait connu depuis mai 68.
Mais qu’on se le dise : tant que la détermination qui s’exprime dans les rues de France sera là, et jusqu’au Conseil d’État, on ne dissoudra pas un mouvement qui se défend !
– LA DÉFENSE COLLECTIVE
POUR NOUS SOUTENIR DANS CETTE BATAILLE JURIDIQUE
Une cagnotte a été créée qui nous permettra de pallier aux frais de défense face à la dissolution qui s’élèvent à 17 000€ en frais d’avocats, vous pouvez participer !